Pourquoi parler de la Révolution française aujourd’hui?

Ce texte est le premier chapitre de la brochure publié en octobre 2014, Révolution bourgeoise et luttes de classes en France, 1789-1799.

Emergence du capitalisme et ascension de la bourgeoisie

La période qui s’étend de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle constitue un tournant majeur dans l’histoire avec l’instauration du mode de production capitaliste et l’avènement de la bourgeoisie. Le capitalisme jusqu’alors commercial puise ses origines aux XIVe et XVe siècles, en Italie et aux Pays-Bas, et se développe à partir du XVIe siècle. En effet, la découverte puis la main mise sur les Amériques et leurs richesses, la traite des populations d’Afrique de l’Ouest, et dans une certaine mesure l’expropriation d’une partie de la paysannerie européenne, anglaise surtout, permettant la constitution d’un prolétariat, amènent en Europe occidentale une accumulation initiale de capitaux indispensable à l’industrialisation. Aussi la montée de la bourgeoisie liée à cette expansion économique donne les possibilités d’un développement scientifique, technique et de la pensée rationnelle qui au XVIIIe siècle jettent les bases de la révolution industrielle. Celle-ci est à l’origine d’une rupture historique de grande envergure qui va entraîner, surtout au siècle suivant, le développement sans commune mesure avec ce qu’on a connu auparavant des moyens de production, concentrés dans les mains de la bourgeoisie, et du salariat.
Avant 1789, les fortes tensions sociales et les changements en cours dans les structures économiques et sociales qui affectent l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord engendrent des mouvements révolutionnaires aux États-Unis, en Irlande, en Belgique, en Hollande, en Suisse et en Angleterre. En effet, sur le plan international, l’Atlantique est devenu un lieu d’intenses échanges commerciaux et humains, assurant non seulement un immense essor des façades maritimes, mais aussi le dynamisme économique et la transformation sociale des pays riverains. Ce développement économique va faire éclater les anciens cadres sociaux et politiques. La fin du XVIIIe siècle est donc une période charnière : le conflit latent entre l’ordre ancien et la bourgeoisie ne peut se régler dans le cadre des régimes politiques en place, sauf bien sûr là où triomphe déjà une bourgeoisie organisée, comme en Angleterre qui connaît depuis les années 1770 sa première révolution industrielle.
La bourgeoisie dont l’existence remonte au développement des villes au XIe siècle, liée à l’essor du commerce et de la finance au Moyen Age, est en tant que classe du capital associée aux mutations sociales et économiques que traversent l’Europe et l’Amérique du Nord à la veille de 1789. Née sous le féodalisme donc, la bourgeoisie en France à la fin de l’Ancien Régime domine la vie économique. Mais son ascension et le développement des forces productives nécessaires à l’émergence du capitalisme se retrouvent bloqués par la persistance des structures socio-économiques héritées du système féodal. Consciente de ses talents et d’occuper une place prépondérante dans l’économie, imprégnée par la philosophie des Lumières, elle aspire à la gestion politique du pays, or ce projet est difficilement concevable dans le carcan que représente la monarchie absolue de droit divin. Ces contradictions sont alors à l’origine de la Révolution qui éclate en 1789.

L’intérêt de la période révolutionnaire
Le cas français n’est pas une exception. La Révolution française permet à la bourgeoisie de s’affirmer en tant que classe dominante. Elle va utiliser des stratégies spécifiques pour accéder au pouvoir et mettre en place les conditions nécessaires au développement capitaliste dans le pays. La Révolution s’inscrit dans une période durant laquelle émergent les structures économiques, politiques, sociales et juridiques de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Son intérêt ne s’arrête pas là. Ce que l’on peut qualifier à juste titre de révolution bourgeoise se caractérise par le rôle actif, déterminé et autonome des classes populaires : prolétaires urbains et ruraux, petits exploitants agricoles et petits travailleurs indépendants pour qui la question des subsistances est cruciale face à la flambée des prix, notamment dans les mois qui précèdent le début de la Révolution. Les émeutes qui éclatent un peu partout sur le territoire à ce moment-là constituent une cause immédiate dans le déclenchement de 1789. Les tensions de classes pèsent de tout leur poids et ne concernent pas seulement l’antagonisme entre bourgeois et nobles, loin de là. En dépit d’une classe ouvrière encore embryonnaire, pas encore constituée, la participation des travailleurs au processus révolutionnaire de 1789 à 1795 est un moment important dans la mesure où elle amène à un approfondissement social de la Révolution et constitue une première étape dans l’histoire des luttes du prolétariat. La Révolution française est donc un premier jalon dans la formation de la classe ouvrière en France. Il s’agit donc d’aborder la Révolution sous cet aspect et comme processus induit par la lutte des classes. La démarche entreprise ici n’est pas de faire une énième synthèse sur le sujet, mais de tenter d’analyser dans les termes explicités plus haut ce moment historique fondamental à travers un récit plus ou moins chronologique. Une seconde brochure en préparation abordera les événements qui suivent la chute de la monarchie (août 1792) jusqu’au coup d’Etat de Bonaparte (novembre 1799).

Divergences d’analyse, enjeux politiques et mémoriels

La Révolution française est depuis plus de deux siècles l’objet de débats polémiques qui traduisent des enjeux politiques et sociaux de taille. Les histoires produites par les royalistes, les libéraux ou les marxistes, pour ne citer qu’eux, sont marquées par le contexte historique dans lequel elles sont écrites.

L’interprétation contre-révolutionnaire
Condamnant dans ses principes la Révolution, dont elle est contemporaine, elle défend une société hiérarchisée, immuable, ancrée dans la religion catholique et les valeurs traditionnelles. Pour les partisans de la contre-révolution royaliste, l’analyse est fort limitée : la Révolution serait une manifestation diabolique ou l’œuvre d’un complot franc-maçon. Dans la seconde moitié du XXe siècle, ce courant réactionnaire renouvelle son discours en faisant le parallèle entre la Révolution française et la révolution bolchevique de 1917. Le renversement de l’Ancien Régime et la mise en place de la souveraineté populaire deviennent alors la porte ouverte aux totalitarismes, préfigurant les régimes du bloc soviétique, et allant jusqu’à faire l’analogie avec le fascisme et le nazisme. Ce type de parallèle culmine lors du débat sur le « génocide » vendéen, dans les années 1980, avec les travaux engagés par Pierre Chaunu et Reynald Sécher. Ce dernier publie une thèse en 1986 sur le sujet et milite toujours actuellement pour une reconnaissance officielle du « génocide » vendéen. Le terme de « génocide » n’est nullement discuté par Sécher qui forge de toute pièce une « identité vendéenne ». En assimilant à un génocide les crimes de guerre commis par l’armée républicaine en Vendée, il entend évidemment discréditer la Révolution. Les thèses de Sécher et d’autres produites par le courant contre-révolutionnaire sont reprises par une partie de la droite et par l’extrême-droite. Aussi, elles connaissent une certaine audience au moment du Bicentenaire grâce au développement de l’analyse « révisionniste » de la Révolution proposée par François Furet, dont elles reprennent des éléments comme la dénonciation de la Terreur et de toute violence révolutionnaire.

La révolution bourgeoise : entre jacobinisme et marxisme
L’analyse bourgeoise de la Révolution française ne doit rien à Marx et puise ses origines au cœur des événements. Contemporain de la Révolution, Barnave dans son Introduction à la Révolution française, interprète le processus révolutionnaire à la lumière des influences économiques : «une nouvelle distribution des richesses prépare une nouvelle distribution du pouvoir.» On peut voir dans ses réflexions une prise de conscience de la bourgeoisie révolutionnaire. Par la suite, cette interprétation est développée sous la Restauration par des historiens bourgeois libéraux, tels que Thiers, Augustin Thierry, Guizot et Mignet. Ils analysent la Révolution comme le point culminant de la longue ascension de la bourgeoisie jusqu’à la position de classe dirigeante. Louis Blanc, Tocqueville ou Taine admettent aussi cette réalité. Celle-ci est reprise par Marx qui n’a pas écrit de livre spécifique sur la période mais fait part d’analyses sur la Révolution française et le rôle de la bourgeoisie à plusieurs reprises dans ses écrits : le Manifeste du Parti communiste, L’Idéologie allemande, Le 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte.
Au début du XXe siècle, la tradition jacobine qui s’inscrit dans une défense républicaine et sociale de la Révolution, reprend le schéma explicatif d’une révolution bourgeoise à soutien populaire et considère les années 1793 et 1794 comme un approfondissement social du processus révolutionnaire. L’intérêt de cette analyse est d’être en accord avec le présupposé marxiste « d’une mutation nécessaire, fondée sur le changement des structures sociales et des formes de production à la fin du XVIIIe siècle, autant et plus peut être que l’évolution des idées », comme l’explique l’historien Michel Vovelle. Cependant, ce courant est plus jacobin que marxiste.
Jaurès dans son Histoire socialiste de la Révolution française, publiée entre 1900 et 1903, s’intéresse à l’expression autonome de la paysannerie, au mouvement ouvrier, aux grèves, aux intérêts spécifiques des classes populaires urbaines. Par la suite, des historiens universitaires apportent d’autres éléments à l’approche économique et sociale. Le socialiste Albert Mathiez, à un moment proche du Parti communiste, publie en 1927 La Vie chère et le mouvement social sous la Terreur. Georges Lefebvre, lui aussi influencé par la lecture de Marx, s’intéresse à la révolution paysanne. Avant tout anticapitaliste, elle est considérée rétrograde par rapport au mouvement de l’Histoire. En 1958, Albert Soboul consacre sa thèse au mouvement sans-culottes parisien. En tant que marxiste il va s’opposer à la controverse lancée par François Furet à partir de 1965.
L’historiographie d’inspiration marxiste domine jusque dans les années 1960 et jouit d’une large audience après la Seconde guerre mondiale. Cependant, le stalinisme pèse de tout son poids dans le monde intellectuel d ‘après guerre et certains historiens dits marxistes ont une approche très déterministe, allant parfois jusqu’à considérer que le prolétariat n’existait pas à la fin du XVIIIe siècle ou que les travailleurs urbains et ruraux menaient des luttes d’arrière-garde. Incapables de s’autonomiser, ils ne pouvaient agir en conséquence que sous l’orbite des dirigeants bourgeois montagnards.
Edward Thompson, un marxiste dissident loin du déterminisme de certains collègues, publie en 1963 La Formation de la classe ouvrière anglaise, dans lequel il consacre le premier chapitre au mouvement révolutionnaire des années 1790 en Angleterre. Il développe l’idée que la classe sociale et la conscience de classe ne se résument pas à l’état des rapports économiques de production. Par « conscience de classe », il désigne la manière dont les expériences communes sont traduites « en termes culturels et s’incarnent dans des traditions, des systèmes de valeurs, des idées et des formes institutionnelles ». D’autres historiens engagés insistent sur le rôle joué par les classes populaires lors de la Révolution et propose une analyse de classe. Maurice Dommanget, militant au PCF puis trotskiste publie des ouvrages sur Babeuf et les Enragés. Daniel Guérin, militant et théoricien du communisme libertaire, montre en 1946 dans Bourgeois et bras-nus le conflit de classe entre prolétaires et bourgeois montagnards.

L’offensive « révisionniste » et le Bicentenaire
En 1965, François Furet, compagnon de route repenti du PCF, et Denis Richet s’attaquent dans La Révolution française à l’interprétation marxiste. Ils jugent que la radicalisation à partir de 1791, du fait de la participation accrue dans le processus révolutionnaire des masses populaires urbaines et paysannes, est un « dérapage » de la Révolution. Les deux auteurs déconsidèrent le rôle et la violence exercée par les classes populaires en proie selon eux à « la psychose collective d’un perpétuel complot ». Ainsi, la Révolution aurait pu faire l’économie de l’intervention populaire, être uniquement libérale et se stabiliser au stade d’un compromis réformiste entre noblesse et bourgeoisie.
Le terme “révisionniste” employé en 1974 par Albert Soboul désigne l’ensemble des historiens libéraux ou conservateurs qui proposent de sortir du cadre interprétatif de la révolution bourgeoise et de réviser l’analyse marxiste et jacobine de la Révolution. Ce terme est d’ailleurs mal adapté dans la mesure où le révisionnisme permet de réexaminer des sources et de proposer une nouvelle interprétation de l’histoire. La diffusion de cette interprétation est favorisée après 1968 par un contexte mondial d’offensive néo-libérale. Sur le plan idéologique l’anti-totalitarisme fustige le marxisme en le rendant responsable des régimes répressifs du bloc de l’Est, condamne tout projet révolutionnaire, gagne du terrain via les médias et finit par dominer la gauche intellectuelle non communiste à la fin des années 1970. C’est dans ce contexte que François Furet publie en 1978 Penser la Révolution française. Pour lui le marxisme, le communisme et finalement tout projet révolutionnaire conduit nécessairement au totalitarisme. Il affirme que la Terreur n’est plus un dérapage mais un élément constitutif de l’événement révolutionnaire. Il s’attaque à l’idée de révolution par le biais de ce qu’est devenue l’Union soviétique: « Aujourd’hui, le goulag conduit à repenser la terreur, en vertu d’une identité dans le projet. Les deux révolutions restent liées.” Aussi ajoute-il: “1789 ouvre une période de dérive de l’histoire.” Auparavant, en 1976, il ne percevait aucune vertu ni aucune force autonome dans l’intervention des masses révolutionnaires, qui ne peuvent qu’être manipulées par des leaders. L’interprétation de Furet, ni plus ni moins contre-révolutionnaire, réussit à s’imposer dans le débat comme discours dominant dans les années 1980 et gagne l’ensemble de la société. L’analyse marxiste est mise à mal depuis les années 1970, la décennie suivante est marquée par la crise économique, le reflux des luttes et une offensive idéologique qui proclame la fin de la lutte des classes. Aussi, toute une partie de la gauche adopte les thèses de Furet et contribue grandement à la diffusion et au triomphe de son interprétation. Cette entreprise de liquidation de tous projets révolutionnaires et émancipateurs permet également à des historiens conservateurs comme Pierre Chaunu, défenseur de la supériorité de la civilisation occidentale blanche et chrétienne, militant anti-avortement, et à d’autres nourris de tout l’héritage contre-révolutionnaire d’accéder au premier plan de la scène publique.
Au moment des célébrations du Bicentenaire de la Révolution en 1989, l’école « révisionniste » et les thèses contre-révolutionnaires triomphent. Les socialistes, alors au pouvoir, artisans d’une politique d’austérité, déclarent que la Révolution n’a désormais plus rien à dire. Le premier ministre socialiste Michel Rocard affirme que l’intérêt de 1789 est d’ “avoir convaincu beaucoup de gens que la Révolution, c’est dangereux et que, si on peut en faire l’économie, ce n’est pas plus mal «  . Quoi d’étonnant d’entendre de tels propos, et d’assister au triomphe d’une histoire contre-révolutionnaire dans un contexte de casse des luttes. Aussi, l’éclatement de l’Union soviétique et la thèse de « fin de l’histoire », relancée par Francis Fukuyama avant la chute du mur de Berlin en 1989, participent à la consécration d’une pensée au service du conservatisme social. Pour Fukuyama, le libéralisme et la démocratie, indépassables et en parfaite adéquation avec l’essence humaine, n’ont désormais plus d’entraves.
Les célébrations du Bicentenaire, dont François Furet est le penseur et l’historien officiel, constituent un acte foncièrement idéologique. Le but est de montrer la Révolution uniquement sous un angle politique et non social, mais surtout comme un moment dangereux car portant en germe la dérive de la Terreur. Pour la cause, les célébrations mettent en avant les contre-révolutionnaires, des figures consensuelles tels que Condorcet ou Madame Roland, alors que les Jacobins, les sans-culottes sont montrés comme des terroristes assoiffés de sang. La Terreur est considérée comme un déchaînement de violences extrêmes, injustifiées et les luttes menées par les classes populaires sont jetées aux oubliettes. L’idée est de marteler que tout engagement politique conduit à la révolution, que celle-ci conduit à la violence, et donc qu’il ne faut pas s’engager mais accepter l’ordre établi une bonne fois pour toute. Le Bicentenaire fut une véritable entreprise d’oubli, de propagande, de dépolitisation et un moyen de plus de nous faire croire que nous sommes condamnés à vivre dans le monde où nous vivons.

Les Jacobins sont de retour
Depuis les années 1990, dans un contexte mondial marqué par la crise économique, où les luttes pour de meilleures conditions de vie persistent et contredisent la fin de l’histoire et de la lutte des classes, la version formulée par Furet dans son rejet total des facteurs socio-économiques rencontre peu d’écho dans le milieu universitaire. Elle a cependant laissé un héritage regrettable. L’histoire grand public diffusée par les médias de masse n’en finit pas de ressasser les vieilles rengaines réactionnaires et continue de véhiculer une image négative et caricaturale de la période révolutionnaire en insistant lourdement sur la Terreur et les violences populaires. D’une certaine manière, les théories contre-révolutionnaires ont fait leur chemin.
La situation est tout autre dans le domaine de la recherche plutôt marquée à gauche : alors que l’aspect social occupe à nouveau une place essentielle, la révolution bourgeoise et la lutte des classes sont des analyses rarement utilisées, ce qui s’explique en partie par le travail de sape de Furet et consorts. La vague révisionniste n’a pas tout balayé sur son passage mais l’histoire universitaire garde des séquelles, au point que lorsqu’on lit des auteurs pourtant attentifs au social, mettant en lumière le rôle important et positif joué par les classes populaires, revalorisant le concept de révolution, on reste sur sa faim. Même si, entre autres, Florence Gauthier, Sophie Wahnich ou les historiens proches de la Société des Etudes Robespierristes, proposent une lecture plutôt positive de la Révolution, leurs analyses participent d’un retour en force de l’interprétation jacobine dans le milieu universitaire. Il touche aussi certains milieux militants à la gauche du Parti socialiste et s’explique par le contexte politique et social dans lequel le regain du républicanisme, l’alternativisme et la démocratie participative apparaissent comme des solutions face à la crise du capitalisme. Le renouveau de la tradition républicaine jacobine apparaît donc pour certains intellectuels et militants bercés par une certaine nostalgie comme une solution face aux ravages de la mondialisation capitaliste. Il n’est donc pas étonnant que l’histoire jacobine nous présente les leaders jacobins de la Révolution comme des parangons de la radicalité et de la justice sociale.
Ce nouveau jacobinisme, émanation d’une partie de la classe moyenne, entend faire l’économie de la lutte des classes en humanisant les rapports capital-travail et en prônant une refonte des institutions démocratiques. Le projet de société formulé il y a plus de 220 ans par le jacobinisme serait donc encore d’actualité face à un système politique et économique qui aurait perdu la raison. Bien plus, il constituerait un horizon à atteindre pour remédier aux problèmes que nous traversons ! Il y a ainsi une récupération politique de l’héritage jacobin, ce qui n’enlève rien à la validité et au sérieux des travaux historiques. Le problème réside en fait dans l’analyse du jacobinisme et dans l’expérience de gouvernement révolutionnaire menée en 1793-1794. Robespierre et ses amis ont éliminé les Enragés, mis au pas les classes populaires, réprimant au passage les travailleurs en grève, fermant les clubs de femmes révolutionnaires et amorcé ainsi la contre-révolution. Alors que les dirigeants jacobins et montagnards sont montrés comme les martyrs du 9 thermidor, moment fatidique où la Révolution commence sa descente aux enfers, leur alignement sur les intérêts bourgeois est passé sous silence ou minimisé. Déjà en 1793 le jacobinisme a révélé ses limites, nous n’avons donc rien à attendre aujourd’hui d’un projet porté par des bourgeois de gauche qui voudraient nous faire croire que la démocratie et un capitalisme régulé constitueraient un horizon indépassable.